« Le Peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9, 1). Rarement ces paroles, entendues à la messe de la nuit de Noël, ne m’auront paru si actuelles, tant les ténèbres semblent s’épaissir aujourd’hui. Je ne parle pas seulement des coupures d’électricité que l’on nous annonce, même si on peut se demander si nous ne touchons pas là, à cause de l’imprévoyance et de l’insouciance des hommes, les limites d’un système technoscientifique qui se prétend tout puissant. Mais je pense aux scandales qui ternissent le visage de l’Église qui devrait pourtant refléter fidèlement le visage du Christ, « Lumière des nations », et qui plongent tant de victimes dans la nuit. Je pense encore à l’inquiétude jusqu’à l’angoisse qui gagne nos concitoyens face aux crises sanitaire, économique, sociale, géopolitique, causes d’un climat anxiogène largement entretenu par les médias et les puissants de ce monde.
Et il y a aussi la guerre, pas seulement en Ukraine, mais aussi au Yémen ou en Arménie… où l’on voit bien que les intérêts privés des plus puissants l’emportent sur le bien des populations ; je pense en particulier à la surenchère des armes jusqu’à l‘indécence, comme si tout le monde n’avait pas intérêt à s’asseoir coûte que coûte à la table des négociations. N’oublions pas non plus les Chrétiens d’Orient et la situation dramatique du Liban. Il y a encore les violences contre les populations civiles, ici ou là en Asie ou en Afrique, comme en Chine, en Iran ou au Congo ; le terrorisme islamiste qui sévit au Nigeria, au Burkina Faso, et qui menace toujours sur notre sol ; les violences urbaines qui sèment la destruction et la panique dans nos villes, où la délinquance et l’insécurité ne cessent d’augmenter. Il y a enfin l’augmentation de la pauvreté en France, pointée par le rapport annuel du Secours Catholique, et les conflits sociaux qui grondent face à des mesures qui semblent servir davantage les intérêts des puissants que les moins aisés et les plus démunis !
Et pendant ce temps-là, on connaît du point de vue sociétal, une régression des plus inédites : alors qu’on s’émeut de la « souffrance » animale, les députés, à une écrasante majorité, votent l’inscription dans la Constitution du « droit » à l’avortement ! On s’attendrait plutôt à ce que nos élus défendent avec zèle et sens de leurs responsabilités le « droit à la vie » depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, le seul socle qui puisse fonder vraiment la liberté, l’égalité et la fraternité – ces vertus chrétiennes devenues folles – que l’on appose fièrement au frontispice de nos bâtiments publics. Et il y a encore la proposition de loi sur le suicide assisté et l’euthanasie qui feint de faire croire qu’on n’a pas d’autre alternative, alors qu’on a voté des plans de soins palliatifs qui ne sont toujours pas appliqués. Notre société s’achemine vers l’éradication systématique des plus vulnérables ! Qui osera dire qu’il s’agit d’un progrès ?
Mais un cri a définitivement déchiré la nuit : « Aujourd’hui … un Sauveur vous est né qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 10-12). Et s’il n’y a plus qu’« un petit reste » pour écouter cette bonne nouvelle, elle est un message d’espérance pour tous. Dans sa petitesse, ce nouveau-né nous apporte l’espérance, celle dont Péguy disait : « La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance (…) Une flamme tremblotante a traversé l’épaisseur des mondes. Une flamme vacillante a traversé l’épaisseur des temps. Une flamme anxieuse a traversé l’épaisseur des nuits (…) Une flamme impossible à atteindre, impossible à éteindre au souffle de la mort. Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas. Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance. Immortelle ». Chaque fois qu’un enfant vient de naître, c’est une espérance dans la nuit !
Saint et joyeux Noël à tous !
+ Marc Aillet
Évêque de Bayonne, Lescar et Oloron